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Arturus acquiesça d’un geste. Myrddin saisit la harpe de voyage qui ne le quittait pas. Il fit glisser ses doigts sur les cordes : des notes d’une intense tristesse s’élevèrent dans la salle, imprégnant l’âme des convives d’une mélancolie dont aucun ne souhaitait sortir. Alors le barde entonna l’histoire de Blodeuwedd, la fille-fleur qui voulut tuer son créateur par amour pour un autre[35].
— Ils réunirent les fleurs du chêne,
Celles du genêt, de la reine-des-prés.
Et par magie, firent la plus parfaite,
La plus belle jeune fille du monde entier.
Un frisson traversa Azilis. Elle ferma les yeux. Lorsqu’il chantait, la voix de Myrddin était si semblable à celle d’Aneurin !
Elle avait déjà entendu le barde d’Arturus scander des hymnes guerriers mais jamais cet ancien poème d’amour qu’Aneurin aussi avait chanté.
Azilis oublia où elle se trouvait et ceux qui l’entouraient. Elle écoutait à peine le récit, tant les chaudes inflexions de la voix l’émouvaient. Les vibrations des cordes de la harpe versaient dans son cœur un élixir d’une douceur insoutenable. La peau parcourue de frissons, elle laissa ses émotions l’emporter.
— Le regard de Blodeuwedd se posa sur Goronwy
Et, dès cet instant,
Il n’y eut plus une parcelle de son être
Qui ne fût pénétrée d’amour pour lui.
Le chant s’achevait. Elle ouvrit les paupières. Ses yeux rencontrèrent ceux de Myrddin et elle eut le souffle coupé. Incapable de détourner la tête, elle eut l’impression que le temps s’était arrêté. Puis le barde salua l’auditoire et le cœur d’Azilis se remit à battre.
Ses mains tremblaient. Elle se concentra pour reprendre le contrôle d’elle-même. Et pour chasser l’étrange sentiment d’abandon qui la submergeait. Elle tendit la main vers le gobelet qu’elle partageait avec Kian. Il la devança, l’emplit d’hydromel et le porta tendrement à la bouche d’Azilis. Elle referma ses mains sur les siennes et but, honteuse d’avoir été emportée si loin de lui par le chant du barde.
— Comme tu aimes la musique ! chuchota Kian à son oreille. Ton visage rayonnait. Tu étais si belle que…
La porte s’ouvrit violemment avant qu’il eût achevé sa phrase. Enid surgit en courant. Azilis pensa aussitôt qu’Adwen avait eu un malaise. À moins qu’un autre malade…
Cabal s’était dressé sur ses pattes en grondant, prêt à bondir, mais il s’immobilisa au premier mot de son maître.
— Dame Niniane, mes seigneurs, balbutia la jeune fille en s’inclinant profondément, pardonnez-moi de vous interrompre, je suis désolée…
— Parle donc ! s’exclama Arturus. Qu’y a-t-il ?
— Un messager…
Enid n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Un cavalier couvert de boue et de poussière entra à son tour en titubant. Il tomba à genoux devant le dux.
— Les Saxons. Ils ont pris Portus Adurni.
Puis il s’écroula sur le sol, évanoui.